la rue n'est pas un endroit pour vivre

ensemble22 Par Le 18/04/2021 0

Dans International

suite des récits d'Odile en Argentine

La calle nous es un lugar para vivir/ la rue n'est pas un endroit pour vivre

Article de la journaliste Maria Daniela Baccarat, publié dans le journal Pagina 12, suite à de nombreux témoignages

 

Yair a aujourd'hui 36 ans , il a été 8 ans en prison et vit aujourd'hui près de  Cordoba, deuxième plus grande ville d'Argentine. Il cultive un bout de jardin et se consacre à la sculpture, à l'écriture et à la musique. " L'art et l'éducation que j'ai reçue m'ont sauvé la vie" dit-il. A 8 ans, il quitte la maison familiale" Nous étions pauvres et j'ai commencé à vivre dans la rue avec une bande d'enfants sauvages.  Nous dormions, cachés sous les ponts, un endroit si sombre et si dangereux que nous dormions avec une bouteille de verre à la main. J'avais peur qu'on me viole, qu'on m'enlève ou qu'on me prenne des organes. Des copains ont disparu du jour au lendemain, on ne les a jamais revus." Son enfance se déroule entre la rue, les instituts pour mineurs, les commissariats, les hôtels, les accueils en famille. " Il y a une famille qui a voulu m'emmener avec elle en Espagne. J'ai refusé. " J'ai un papa et une maman ici!". C'était pendant le gouvernement de Menem, l'Etat était complètement absent. On mendiait dans les trains, on cherchait la nourriture dans les poubelles, on frappait aux portes des maisons pour demander de la nourriture et de vêtements. Son frère et sa mère, également dans la rue, l'ont cherché au début puis ont abandonné.

Un autre :" Je  fus un enfant de la rue mais aussi un enfant" institutionnalisé" ( pris en charge par l'Etat) jusqu'à ma majorité. L'Etat m'a donné à manger, m'a permis d'étudier. En prison, j'ai appris la sociologie et la psychologie.  

"Dans la rue, il y a des gens qui ont eu de  "hautes professions" dans une autre vie. 

Il y a aussi beaucoup d'etrangers, beaucoup d'Amérique latine, ils espèrent une autre vie et ils trouvent un pays cassé mais qui te disent que c'est mieux que dans leur pays!" 

" Être dans la rue, c'est être dans aucun endroit." Si tu as la chance d'être hébergé dans un centre pour la nuit, le matin, à 8h, tu dois partir.. pour aller où ? " A la place!"  à l'endroit, parc ou place où se retrouvent les déshérités, les désœuvrés. Que faire d'autre? C'est une situation horrible."

" A 18 ans, on n'est plus pris en charge, je suis revenu chez ma mère, cela a duré une semaine puis les violences ont repris. Retour à la rue... A 40 ans, j'ai été accueilli dans un centre pour les gens de la rue. J''ai pu manger et me doucher. Peu à peu, je me suis reconstruit... Je ne veux plus parler du pire que j'ai vécu ! Chaque année, je vois plus de gens dans la rue, quand l'hiver approche, ma première pensée est qu'ils pourraient mourir de froid. Il faut créer d'autres espaces et pas seulement fournir de quoi dormir , manger et se doucher, ce n'est pas que cela la vie!

 

En allant au parc tous les matins avec ma petite fille, j'ai croisé Adrien "sur la place".

Il a 47 ans et est né à Tucuman, dans la Campo, il a 2 sœurs et 1 frère. Il est venu à Buenos Aires, il y a 20 ans. Le matin, il vient à la place, il y a ses potes qui prennent le soleil puis vers 11h-12h, il s'en va à la "Villa" ( prononcer Vicha),  bidonville, où il peut manger correctement pour 300 pesos ( 1,50€), ce qui est très bon marché. Ensuite, il a va au terminus du métro pour faire la manche, il récupère de quoi survivre. Parfois, il lave une voiture et gagne 300 pesos de plus par voiture. Le soir, il revient dans sa rue pour y passer la nuit. A 30ans, il a eu un accident de bus, son pied a été coupé et se déplace en boitant. Avec cet accident, il perçoit une pension mensuelle de 13000 pesos ( 65€). Pas de quoi payer un loyer mensuel. Mais le plus difficile, dit-il, c'est la solitude, " On est seul dans la rue, il faut se méfier de tous pour ne pas se faire voler et frapper".  Il a partagé sa vie avec une femme pendant quelques années mais les difficultés économiques et sociales ont fait qu'elle est retournée dans son pays, au Pérou, avec leur fille Cielo Lujan, qui a 8 ans maintenant."

Dans son sac à dos, il a quelques papiers et des photos précieusement emballées.

La pandémie ? Si le virus existait vraiment, je devrais être déjà mort, en vivant ainsi dans la rue!

La vaccination? Je n'y compte pas, je suis sur aucun registre.

La politique? Ce sont tous des menteurs qui nous prennent pour des marionnettes.

 

Ce qu'on voit dans les rues: 

Ils se promènent avec un sac à dos et un bâton à la main, qui se termine par un crochet. Ils circulent le matin, le midi, le soir et sans doute la nuit. Ils sont jeunes et vieux hommes et femmes seuls, en famille ou en couple. Ils ouvrent les grandes poubelles noires, de grands containers, y jettent un œil ou entrent à l'intérieur pour récupérer" quelque chose" à manger , à vendre ou à échanger. Ils sont de plus en plus nombreux. Ils ramènent tout à la "Vicha", là où ils vivent. 

Il y avaient déjà les cartoneros qui ramassent les cartons qu'ils transportent dans des charettes tirées à bras d'homme - et de femmes. Ceux-là ont un statut de travailleur/euse qui leur donne droit à une couverture sociale. Il y a les employés de la ville de Buenos Aires qui trient aussi les déchets pour un salaire modeste.  

Et puis, tous les vendeurs de torchons, de mouchoirs en papier, décorations, de chaussettes... qui arpentent les trottoirs et sollicitent le clients aux terrasses. 

Et les étalages de vêtements, de fruits à même le sol. Que gagnent vraiment tous ces revendeurs?

Sans oublier les promeneurs de chiens, image d'homme ou de femme entourés de chiens retenus par la laisse à la ceinture.

Argentine

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