La défiance vis-à-vis des institutions et la conviction que les responsables politiques sont devenus impuissants face à la crise – quand ils ne sont pas corrompus – minent le régime et conduisent un nombre croissant de nos concitoyens à se réfugier dans l’abstention, voire, pour une partie, à rechercher des boucs émissaires et à adopter les discours ethnicistes de l’extrême droite. Les racines de cette situation touchent à la fois à la soumission des gouvernements à la logique du capitalisme financiarisé, à leur adhésion à une construction européenne qui se fait contre les peuples, à la nature antidémocratique des institutions de la cinquième République et à l’endogamie entre les milieux d’affaires et les hauts responsables au pouvoir. Aussi, le basculement de certains de ces responsables politiques dans la délinquance financière ou fiscale n’est pas la dérive personnelle de quelques moutons noirs, mais bien le prolongement logique du sentiment d’irresponsabilité et de toute-puissance qui habite cette nouvelle oligarchie politico-financière. Les appels à la morale individuelle et à plus de transparence ne seront donc qu’un emplâtre sur une jambe de bois si des mesures à la hauteur de la situation ne sont pas prises.
Sur le plan économique, la première est d’arrêter les politiques d’austérité : désastreuses socialement, elles sont stupides économiquement, étant incapables même de répondre à l’objectif qu’elles se sont fixé, la réduction des déficits. La deuxième est d’en finir avec la domination des marchés financiers sur la vie économique et sur la société, ce qui passe par un contrôle social des banques, la séparation organisationnelle stricte entre banques d’affaires et banques de dépôts, l’interdiction des produits financiers à risque et des activités spéculatives (en particulier l’interdiction des transactions financières avec les paradis fiscaux) et la création d’un pôle public financier. Il s’agit aussi d’engager une répartition plus égalitaire du revenu national par une augmentation de la part des salaires dans la valeur ajoutée, et une réforme fiscale d’ampleur redonnant en outre des marges de manœuvre à la puissance publique. Bref, c’est une tout autre politique économique tournée vers la satisfaction des besoins sociaux et la transition écologique qu’un gouvernement de gauche se devrait de mettre en œuvre.
Elle devrait s’accompagner d’une bataille à l’échelle européenne pour la refondation de l’Europe. La sacralisation de la liberté de circulation des capitaux et l’interdiction pour la BCE de financer les États ont donné aux marchés financiers un véritable pouvoir de veto sur les décisions des institutions démocratiquement élues, pouvoir qu’ils exercent via les attaques spéculatives et le chantage à la délocalisation. En finir avec cette situation et donner aux peuples d’Europe la maîtrise de leur destin doit être l’objectif de tout gouvernement de gauche. Nul doute qu’un gouvernement qui engagerait un tel processus aurait un écho considérable et trouverait nombre d’alliés parmi les peuples étranglés par les politiques actuelles.
En France, il s’agit d’en finir avec les institutions de la cinquième République et de redonner du pouvoir aux citoyens et aux citoyennes dans tous les domaines de la vie politique et économique. Face à la profondeur de la crise politique, économique et écologique, la perspective du passage à une sixième République – par le biais d’un processus constituant impliquant tous les citoyens – est à l’ordre du jour. La démocratie à tous les niveaux de décisions, voilà l’essence de la sixième République. Elle devra, notamment, permettre à la souveraineté populaire de franchir la porte des entreprises. Aujourd’hui, les actionnaires sont les seuls à décider de la conduite des entreprises, alors que ce sont les travailleurs qui créent la richesse. Pour rompre avec cette situation, il faut donc étendre de manière très importante les droits des salarié-es, notamment donner au Comité d’entreprise un droit de veto sur les décisions stratégiques et créer un statut du salarié qui permettra la mise en place d’une sécurité sociale professionnelle. Et, pour les secteurs de l’économie qui relèvent directement de l’intérêt général, l’arme de la nationalisation sous contrôle démocratique pourra et devra être utilisée.
Le manque d’indépendance et de pluralisme dans le traitement médiatique de l’information économique est un obstacle à la réappropriation par le peuple de la politique économique. L’idéologie néolibérale étouffe toute possibilité de débat démocratique éclairé et argumenté. Dans l’enseignement et la recherche, la domination de l’école de pensée néoclassique a été instituée, en contradiction fondamentale avec l’esprit scientifique qui suppose la possibilité de remise en question des théories. Alors qu’il est de plus en plus évident que les politiques néolibérales nous conduisent à la catastrophe économique et écologique, il devient d’autant plus urgent de permettre l’épanouissement des recherches qui se placent hors du cadre de pensée de l’orthodoxie actuelle.
Pour toutes ces raisons, nous, économistes, soutenons la marche citoyenne du 5 mai 2013 pour une sixième République, contre la finance et l’austérité.
Signataires
Louis Adam, commissaire aux comptes
Daniel Bachet, université d’Evry ; Philippe Batifoulier, université Paris ouest ; Nicolas Beniès, université populaire de Caen ; Mathieu Béraud, université de Lorraine ; Eric Berr, université Bordeaux IV ; Jacques Berthelot, ex INP de Toulouse ; Pierre Bezbakh, Paris Dauphine ; Boris Bilia, statisticien-économiste ; Pierre Bitoun, INRA ; Frédéric Boccara, université Paris XIII ; Marc Bousseyrol, Sciences Po Paris ; Mireille Bruyère, université Toulouse 2 ;
Claude Calame, EHESS ; Christian Celdran, Economistes atterrés ; Gabriel Colletis, professeur de sciences économiques université de Toulouse 1 ; Pierre Concialdi, économiste-sociologue ; Laurent Cordonnier, université Lille 1 ; Jacques Cossart, économiste du développement ;
Jean-Paul Domin, université de Reims ; Guillaume Etievant, expert auprès des CE ; Bernard Friot, IDHE Paris Ouest ;
Maryse Gadreau, professeur émérite à l’université de Bourgogne ; Jean Gadrey, université Lille I ; Véronique Gallais, économiste ; Jacques Généreux, Sciences Po Paris ; Patrick Gianfaldoni, UAPV ; Jean-Pierre Gilly, professeur émérite université de Toulouse ; Pierre Grou, université Versailles Saint-Quentin ; Alain Guery, EHESS ; Bernard Guibert, administration économique ;
Jean-Marie Harribey, université Bordeaux 4 ; Michel Husson, économiste ; Sabina Issehnane, université Rennes 2 ; Andrée Kartchevsky, URCA ; Pierre Khalfa, syndicaliste, membre du Conseil économique, social et environnemental ; Dany Lang, université Paris 13 ; Pierre Le Masne, université de Poitiers ; Philippe Légé, université de Picardie ; Marc Mangenot, économiste ; Jonathan Marie, maître de conférences, université Paris 13 ; Christiane Marty, économiste ; Pierre Mascomere, actuaire consultant ; Gustave Massiah, économiste, école d’architecture de paris La Villette ; Jérôme Maucourant, économiste ; Thierry Méot, statisticien ; François Morin, professeur émérite ; Nolwenn Neveu, professeure agrégée de sciences économiques et sociales ; Gilles Orzoni, Ecole polytechnique ; Dominique Plihon, université Paris 13 ; Nicolas Prokovas, université Paris 3 ; Christophe Ramaux, université Paris I ; Jacques Rigaudiat, ancien conseiller social des Premiers ministres Rocard et Jospin ; Gilles Rotillon, université Paris-Ouest ; Jean-Marie Roux, économiste ; Robert Salais, Ecole normale supérieure de Cachan ; Catherine Samary, université Paris Dauphine ; Dominique Taddéi, ancien président d’université, ancien Président de la Caisse des dépots et consignations ; Bernard Teper, Réseau Education Populaire ; Stéphanie Treillet, économiste ; Sébastien Villemot, économiste ; Philippe Zarifian, professeur Université Paris Est
Voir en ligne : Appel des économistes pour une VIe République, contre la finance et l’austérité