La
campagne a confirmé l’émergence d’une gauche contestataire et un
recentrage rampant du Parti socialiste, fort de son succès électoral.
Le
succès de la gauche aux municipales et cantonales profite d’abord au
Parti socialiste, le scrutin marquant un nouveau pas vers la
bipolarisation de la vie politique. Dix mois après sa défaite aux
élections présidentielle et législatives, le PS s’est refait une santé
électorale éclatante en ravissant à la droite une bonne quarantaine de
villes de plus de 20 000 habitants. François Hollande et Ségolène Royal
avaient demandé aux électeurs d’ « amplifier » le vote du premier tour, par un « vote-sanction ». Ils ont été entendus. Et même au-delà de l’objectif que le premier secrétaire avait lui-même fixé.
L’ancien maire PS de Strasbourg, Roland Riès, a battu la candidate de droite, Fabienne Keller. MORIN/AFP
Symbole du regain de faveur du PS auprès de
l’électorat, Toulouse sera gérée par la gauche pour la première fois
depuis trente-sept ans, de même que Périgueux, dont le maire sortant
était l’UMP Xavier Darcos, ministre en vue du gouvernement. Pour
quelque 400 voix, Pau, donnée perdue fin 2007, reste aux mains du PS,
qui inflige une défaite à François Bayrou. Le succès socialiste
concerne « toutes les catégories de villes »,
souligne Claude Bartolone. Parmi les grandes villes, le PS gagne
Amiens, Caen, Reims, Metz à droite depuis l’instauration du suffrage
universel en... 1848 , Saint-Étienne, Strasbourg et Argenteuil, et
conserve Paris, Lyon et Lille.
Les socialistes remportent aussi une kyrielle de villes
moyennes : Abbeville, Angoulême, Brive, Cahors, Blois, Brest,
Carpentras, Cognac, Millau, Narbonne, Soissons, Valence, etc. En région
parisienne, ils enlèvent à l’UMP Colombes, Asnières et Aulnay-sous-Bois.
L’ampleur de ces succès témoigne d’une gauche « très mobilisée »,
selon le député de Paris Jean-Christophe Cambadélis. À Caen, Philippe
Duron recueille 56,26 %. Malgré de graves divisions, les socialistes
l’emportent à Argenteuil (plus de 100 000 habitants) et Évreux.
Cette victoire risque fort d’attiser les appétits, à
quelque mois d’un congrès important. Dimanche soir, plusieurs
responsables socialistes, tel Claude Bartolone, ont souligné que le PS
ne devait pas « refaire l’erreur de 2004 » qui
l’avait conduit à s’entre-déchirer après son triomphe aux élections
régionales. Aucun responsable n’a d’ailleurs revendiqué pour lui-même
le succès de ces élections municipales et cantonales, François Hollande
prenant soin d’évoquer « une victoire collective » et de confirmer qu’il ne serait pas candidat à sa succession. Les municipales ne sont pas « un concours d’egos » et « n’établissent pas les rapports de force d’un congrès »,
avait prévenu le premier secrétaire trois jours auparavant. Un
avertissement qui valait autant pour Ségolène Royal, qui a mis à profit
la campagne municipale pour mesurer une popularité toujours intacte,
que pour Martine Aubry. L’ancienne ministre de l’Emploi avait fait
savoir au soir du premier tour qu’elle entendait reprendre toute sa
place sur la scène nationale, n’ayant « pas aimé la politique » socialiste en 2007.
Face aux caméras, Ségolène Royal a substitué dimanche soir le « nous » au « je ». Et s’est contenté de déclarer vouloir, « avec d’autres », « présenter aux Français un projet crédible, solide, cohérent » dans la perspective du congrès, appelant « à transformer le vote sanction en vote d’avenir ».
Mais la trêve électorale risque de ne pas durer longtemps. Dès mardi,
une « commission de la rénovation » devait se réunir avec un ordre du
jour qui n’a rien de consensuel : modification du mode de scrutin
interne, élections du premier secrétaire, prix unique d’adhésion. Le
calendrier du congrès est aussi objet de discussions à fleuret moucheté
entre les partisans de Ségolène Royal, qui aimeraient le tenir avant
l’été, et la majorité des autres courants, favorables à sa tenue en
novembre, à échéance normale.
Afin de satisfaire tout le monde et ne pas trop charger le congrès, il est question de programmer une « convention nationale » en juin, chargée de valider la réforme des statuts et de voter une nouvelle « déclaration de principe » pour acter les « valeurs »qui rassemblent tous les socialistes. Ce calendrier, aux implications
politiques importantes, sera arrêté lors d’un conseil national, le 25
mars. Réunion qui sera aussi certainement dominée par la question des
alliances.
Faut-il favoriser les alliances traditionnelles avec le
PCF, les Verts et les autres partis de gauche ? Ou privilégier
l’ouverture au centre ? Depuis un an, la question est ouvertement
posée. Encore taboue avant que Ségolène Royal n’envisage entre les deux
tours de la présidentielle de nommer François Bayrou à Matignon,
l’entente avec le MoDem a trouvé de nouveaux partisans à la faveur des
élections municipales, notamment Martine Aubry. Nombre d’élus et de
candidats, s’affranchissant de la ligne du parti, ont expérimenté cette
« nouvelle alliance », ouvertement encouragés dans cette démarche par
l’ancienne candidate à l’élection présidentielle, qui a de nouveau pris
le PS de court en prônant des alliances au centre « partout ».
L’examen des résultats ne plaident pas en faveur de la
généralisation de cette alliance. D’un strict point de vue
électoraliste, qui était aussi la principale raison invoquée pour
ouvrir les listes de gauche aux partisans de François Bayrou rares
sont ceux qui, comme Gérard Collomb à Lyon, justifient idéologiquement
cette ouverture , l’entente avec le MoDem est loin de faire la preuve
de son intérêt. « Là où la gauche était sortante,
comme à Grenoble ou à Montpellier, l’alliance du PS avec le Modem n’a
produit aucune dynamique », constate Jean-Luc Mélenchon. « À Grenoble, la liste PS régresse de 51 % en 2001 à 48 % en 2008, et à Montpellier, de 56,3 % à 51,88 %. »Elle a en outre favorisé les listes de gauche alternatives.
ÀMontpellier, les Verts alliés à une liste unitaire LCR-Comité unitaire
antilibéral grimpe à 18,62 %. À Grenoble, les Verts alliés aux
alternatifs et la gauche citoyenne s’envolent à 22,5 %.
Après fusion, les listes PS-MoDem font en général moins
de voix que l’addition de leurs scores respectifs au premier tour.
C’est le cas à Marseille, Perpignan, Melun, Briançon, Poissy... Elles
font en revanche monter l’abstention : elle augmente de 3 points à
Lille entre les deux tours pour atteindre 55,58 % !
A contrario, dans la plupart des villes conservées ou
gagnées, le deuxième tour s’est joué sur la qualité des alliances et
des reports de voix à gauche. Même quand le PS avait refusé tout accord
de fusion à des listes situées sur sa gauche. Le cas le plus
emblématique étant Toulouse, où Pierre Cohen a rejeté tout accord avec
« l’Autre Liste » et « Debout ! » (LCR-Motivé-e-s), qui totalisaient
plus de 10 %. Dans le 1er secteur de Marseille, le PS-MoDem ne l’aurait
pas emporté sans l’appoint des électeurs de la liste unitaire de la LCR
(7,71 % au premier tour).
Accords avec le MoDem d’un côté, refus
quasi-systématique de fusion avec les listes LCR, antilibérales ou
citoyennes, de l’autre : ce déséquilibre accrédite un peu plus la thèse
d’un recentrage rampant du PS. Comme si, à la faveur des municipales,
s’était joué un congrès sauvage, à ciel ouvert. « On ne peut pas au prétexte de gagner une ville être embarqué avec des alliés qui ne vous suivent pas »,
soulignait François Hollande, au lendemain du premier tour, pour
justifier le refus de son parti d’accepter les « fusions techniques »
proposées par la LCR et les listes qu’elle soutenait quand celles-ci
avaient dépassé la barre des 5 %. L’argument est recevable. Le plus dur
n’est pas tant en effet de former des coalitions arithmétiques
susceptibles d’être majoritaires. Il faut encore s’assurer que
celles-ci permettront de gérer collectivement la commune gagnée pendant
six ans. Mais cet argument induit aussi que ce qui n’est pas possible
avec des militants de la LCR ou des altermondialistes le serait avec
des partisans de François Bayrou. Sauf à penser que les socialistes qui
ont recherché, voulu et accepté de passer des accords avec le MoDem ne
sont pas posé la question de la gestion future de leur ville avec ces
alliés, on peut donc bien en conclure qu’ils l’ont fait parce qu’ils
ressentaient une plus grande proximité idéologique à l’égard de ces
partenaires.
Sur les 114listes soutenues ou présentées par la LCR
qui avaient dépassé 5 % au premier tour, les cas de fusion se comptent
sur trois doigts : à Morlaix, où la liste des Verts soutenus par la LCR
(25,25 %) a rejoint la liste conduite par le PS Michel Le Goff
(39,9 %), sans succès au second tour ; à Montpellier avec les Verts, ce
qui permet à la LCR d’avoir un élu ; à Le Haillan en Gironde (8 000
habitants), où le socialiste Bernard Labiste l’a emporté après avoir
fusionné avec la liste LCR (6,72 %). À Montreuil, c’est en revanche la
LCR qui a refusé les trois places éligibles que lui proposait le maire
sortant Jean-Pierre Brard, apparenté communiste, sur sa liste d’union
de la gauche.
Dans les onze communes où elles le pouvaient, ces
listes se sont maintenues, dépassant dans sept cas les 10 % des
suffrages. Elles font mieux qu’au premier tour à Cavaillon (Vaucluse),
Palaiseau (Essonne), Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) ou
Clermont-Ferrand, où la liste unitaire conduite par Alain Laffont passe
de 13,8 % à 15,34 % confirmant une implantation réelle. Elle gagne
d’ailleurs 190 voix quand la liste PS-PCF-Verts du maire sortant Serge
Godard en perd 504. Le meilleur score est obtenu par « Label gauche » à
Saint-Nazaire, qui avait refusé d’envisager toute discussion avec le
maire sortant. Elle obtient 17,69 % et 4 élus dans une quadrangulaire,
en troisième position derrière le MoDem (26,76 %) et le PS Joël
Batteux, réélu, avec 40,52 % après en avoir recueilli 43,23 % au
premier tour.
Refuser de fusionner peut s’avérer coûteux. Dans des
villes bretonnes comme Concarneau et Quimperlé, les socialistes font
les frais de la concurrence de la LCR (au-dessus de 10%). Dans un autre
cas de figure, à Garges-lès-Gonesse, le maire sortant Maurice Lefevre
(UMP) l’emporte avec 44,27% des voix devant le PS (39,57%) et le PCF
(16,15%). Un exemple à méditer à l’heure où certains expérimentent la
mort de l’union de la gauche.
En Seine-Saint-Denis en effet, le PS, qui convoitait le
département détenu par le PCF (et obtient finalement le conseil
général), avait provoqué des primaires dans sept villes au premier
tour. Toutes perdues, sauf à Pierrefitte-sur-Seine et Noisy-le-Sec.
Faute d’accord avec les maires sortants, les socialistes ont néanmoins
décidé de maintenir leurs candidats à Bagnolet, Saint-Denis,
Aubervilliers et La Courneuve. La traditionnelle règle de « désistement
républicain », essentiellement mise à mal jusqu’ici par les Verts, qui
la bafouent depuis au moins sept ans, a cette fois volé en éclats à
grande échelle. D’autant qu’à Montreuil Dominique Voynet, qui
conduisait une liste dite « citoyenne », avait par avance refusé toute
entente avec le maire sortant Jean-Pierre Brard.
Aucune de ces guerres fratricides n’a permis à la
droite de prendre une seule de ces villes populaires. C’est heureux.
Pour la première fois, le PS, qui reprend à la droite Aulnay-sous-Bois
et Noisy-le-Sec, dépasse le PCF en nombre d’élus municipaux et
cantonaux. Dominique Voynet l’emporte à Montreuil avec 54,19 % des
voix. Outre cette commune, le PCF perd Pierrefitte et surtout
Aubervilliers, où le socialiste Jacques Salvator l’emporte dans une
quadrangulaire avec 41,48 % face au communiste Pascal Beaudet
(38,53 %). Mais la bataille municipale de Seine-Saint-Denis « laissera des traces profondes à gauche »,
indique-t-on au PCF, où l’on note que ceux qui ont rompu la règle du
désistement républicain n’ont pu l’emporter qu’avec l’appui des
électeurs de droite. Pour preuve, dans les quatre villes où le PS se
maintenait, le total des listes PC et PS est égal ou supérieur à 80 %.
Un score d’au moins 10 points supérieur au potentiel de la gauche dans
ces communes. À Montreuil, remarquait pareillement Jean-Pierre Brard,
Dominique Voynet avait réalisé ses meilleurs scores au premier tour
dans les cinq bureaux de vote traditionnellement les plus à droite.
Dans ce contexte, comment ne pas craindre que « la gauche pour demain » que l’ancienne candidate des Verts à la présidentielle dit avoir « inventée »à Montreuil ne se teinte vite fortement d’orange ? Car tout élu finit
toujours, surtout s’il veut assurer sa réélection, par faire la
politique de ses électeurs.
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